Des centaines de tonnes de boues d’épuration municipales traversent la frontière chaque année.
À la suite du reportage de l’émission Enquête, il a été mis en lumière que plusieurs agriculteurs québécois s’étaient tournés vers les boues d’épuration municipales pour fertiliser leurs champs. Deux compagnies de valorisation de matière résiduelle fertilisante (MRF) s’occupent, dans la province, de faire le lien entre les centres d’épuration et les champs agricoles. Ici, près de chez nous, la compagnie Englobe, située sur le site de Valoris, à Bury, est l’un des principaux utilisateurs de ces biosolides américains.
Le coût des fertilisants ayant grimpé exponentiellement dû à l’inflation et à la guerre en Ukraine a poussé plusieurs agriculteurs du Québec à se tourner vers les boues d’épuration municipale. Offerts gratuitement, ces biosolides représentent une offre alléchante pour les agriculteurs, surtout ceux ayant de grandes superficies à couvrir. Des tonnes de déjections américaines sont importées au Canada et au Québec, dont celles du Maine, qui pourtant en interdit désormais l’épandage sur son propre territoire. Selon le reportage d’Enquête, la demande en boues d’épuration municipales dépasserait actuellement l’offre sur le marché.
Les eaux usées sont traitées dans l’une des 800 stations de la province qui les épurent le plus possible, avant de les rejeter dans les cours d’eau. Une fois le traitement à la station d’épuration des eaux usées complété, un déchet solide demeure toutefois : les boues d’épuration municipales. Pour s’en débarrasser, les trois principales options sont l’enfouissement, l’incinération ou l’épandage agricole.
Les biosolides possèdent plusieurs avantages fertilisants. Ils sont riches en azote, en phosphore et en matières organiques, ce qui favorise la croissance des plantes et améliore la qualité des sols. Toutefois, il est interdit d’en répandre dans les champs où les cultures sont destinées à la consommation humaine. Il est tout à fait honnête de se demander si l’épandage de fumier humain dans nos champs est sécuritaire.
« Au Québec, on a peu ou pas de données sur les tenants des biosolides, par rapport au contaminant émergeant de type médicaments, hormones, plastiques et les substances perfluoroalkylées (PFAS) » d’exprimer Sébastien Sauvé, chercheur en chimie environnementale à l’Université de Montréal, lors de l’entrevue faite par Enquête. Les PFAS sont des contaminants qui ont la particularité de s’accumuler plutôt que de se dégrader. Ils ont aussi été baptisés contaminants éternels. À ce jour, il n’y aurait aucun cadre, aucune norme réglementaire associée à ces contaminants d’intérêt émergeant.
En Ontario, des chercheurs de l’Université de Waterloo ont analysé les boues de neuf stations d’épuration. Elles contenaient toutes des PFAS. Cet exercice n’a jamais été fait au Québec.
Pour Sylvain Laroche, agronome indépendant en Estrie et spécialiste en agroenvironnement, la situation est très inquiétante. Un de ses clients a accepté de faire tester le fumier des vaches sur sa terre. « Une partie de la terre avait subi de l’épandage de biosolides et l’autre non. Une moitié de son troupeau avait mangé du foin qui pousse dans un champ fertilisé avec de la boue et l’autre moitié n’y avait pas été exposée », de raconter l’agronome. Les résultats sont assez frappants et devraient inquiéter son client. « Le fumier des vaches ayant été nourries sans l’apport des biosolides présentait un taux de 0,84 ppb (partie par milliard) de PFAS alors que le fumier de celles ayant été nourries avec du foin fertilisé de boues d’épuration dénombrait un total de 2,83 ppb. Ça représente donc une contamination trois fois plus grande au PFAS », conclut-il.
Pour les spécialistes impliqués dans le dossier, il y a clairement un transfert qui se fait. « S’il y a trace de PFAS dans le fumier, il y a nécessairement absorption par l’animal lors du processus de digestion », d’exprimer Sébastien Sauvé. À ce jour, au Québec, aucune étude n’a encore été faite concernant le lait et la viande animale ayant mangé dans un champ fertilisé de biosolides.
Du côté de Bury, le directeur général d’Englobe Canada, Louis Côté, assure que les boues américaines ne sont pas épandues dans les champs agricoles, mais qu’elles servent plutôt à la fabrication de compost. « Les biosolides sont une belle matière. Qu’ils proviennent du Canada ou des États-Unis, ça reste des biosolides, c’est la même chose. Ce qu’il faut s’assurer, ici chez Englobe, est que les boues d’épuration municipales contaminées au PFAS ne se retrouvent pas chez nous. » Il assure que la compagnie n’importe pas des États-Unis les boues qu’elle juge trop contaminées. Selon Sébastien Sauvé, cela représente un problème puisqu’au Canada, il n’existe aucune loi pour encadrer la présence de PFAS dans les biosolides. De plus, toujours selon M. Sauvé, il n’y aurait pas de seuil ou de critères préétablis pour définir ce qui est qualifié de propre dans le cas des PFAS.
Englobe a pour sa part décider de s’autoréglementer et a mandaté un laboratoire privé et externe pour tester les boues servant à fabriquer le compost et leurs teneurs en PFAS. Les standards de la compagnie sont calqués sur ceux qui étaient en vigueur dans l’état du Maine avant l’interdiction d’épandre. Selon M. Côté, le laboratoire vérifie consciencieusement les boues américaines et lorsqu’elles dépassent les normes établies par l’entreprise, elles ne sont pas importées.
Bernard Lapointe, président du Syndicat local de l’UPA du Haut-Saint-François (HSF), abonde dans le même sens que les autres spécialistes. Il est primordial de faire attention et d’appliquer le principe de précaution. Des changements seront à faire dans la réglementation puisque pour l’instant, tout se fait de façon légale. « La seule chose que nous puissions faire présentement est de sensibiliser les agriculteurs à se poser des questions sur leur technique d’épandage. Le reportage d’Enquête va très certainement faire changer les choses et apporter une nouvelle vision à l’utilisation des boues d’épuration municipales. Mais pour l’instant, nous ne pouvons que suggérer des pistes aux agriculteurs. Le gouvernement du Canada, le ministère de l’Environnement et l’Ordre des agronomes du Québec devront inévitablement se pencher sur le dossier et se poser de sérieuses questions. »