Non ! Comprenons-nous bien, il s’agit ici d’opérations forestières d’envergure axées sur le volume récolté dans un contexte d’aménagement forestier, donc de coupes commerciales effectuées par des machines forestières dotées des derniers raffinements mécaniques et informatiques. L’entrepreneur désigné par le propriétaire ou le conseiller forestier cherchera à maximiser le rendement de ses machines – la multi et le porteur – tout en limitant les déplacements de ses «réguines» d’un chantier à l’autre… dans une forêt privée fragmentée.
Multi : volume et sécurité
Une multi (celle habituellement utilisée en petite forêt privée), ça opère ! Ses manettes aux mains d’un habile opérateur, elle peut récolter de 45 à 50 cordes 4 x 4 x 8 par jour, environ 110 m3s, dépassant même la charge de deux camions-remorques et, informatique aidant, livrer immédiatement des résultats de performance, des indicateurs utiles à l’évaluation et à la planification des chantiers. Et considérant les designs adaptés aux divers types de terrains forestiers et l’évolution fulgurante des technos cybernétiques (référence au titre de cet article), les opérations forestières deviennent de plus en plus une «affaire cérébrale» plutôt qu’un enjeu d’endurance physique. S’ajoute à cette tendance forte, la sécurité des travailleurs forestiers, motif no 1 de Domtar pour les récoltes sur ses terres forestières (160 000 ha en Estrie et Beauce).
Réduction des coûts de récolte
Voyons ce qu’en dit un forestier estrien à la réputation et crédibilité établies de longue date : « … les coûts de supervision sont passés de 2 $/m3s… à 0,75 $/m3s et risque de descendre à 0,65 $/m3s l’an prochain (2018) », dixit Sylvain Rajotte, DG, Groupement Sommets. Ça promet ! Surtout si l’on considère que le métier d’abatteur manuel manque de recrutement. Et à moins d’indications autres de la part du propriétaire et de certaines conditions de terrain, 100 % des travaux commerciaux sont mécanisés. C’est maintenant une tendance généralisée en forêt privée.
Trente entrepreneurs mécanisés en Estrie
Selon une étude de l’Agence de mise en valeur des forêts privées de l’Estrie (AMFE) menée en 2017, l’Estrie compte plus d’une trentaine d’entrepreneurs forestiers équipés du «tandem» multiporteur. Et tous, aux dernières nouvelles, avaient un carnet de commandes bien rempli. Pour la durabilité de leur entreprise, ils ont quand même manifesté deux préoccupations : le financement de leurs machines et le recrutement d’opérateurs qualifiés. Mentionnons ici que l’entrepreneur est à forfait alors que l’opérateur (si non-propriétaire) est à salaire; une équation qui doit s’équilibrer. Pareilles machines achetées usagées ou neuves, en état opérationnel, se conjuguent en un investissement, selon la capacité et les technologies mécaniques et informatiques, entre 600 000 $ et 1 500 000 $, et exigent un entretien méticuleux. À ces colonnes de factures, s’ajoutent les coûts de transport d’un chantier à l’autre dans une forêt privée, avons-nous dit, très fragmentée.
Des gros chiffres certes ! Mais qui doivent être considérés objectivement en fonction des résultats obtenus vs les efforts personnels physiques et financiers du propriétaire surtout quand le lot à bois moyen de 40 ha (100 acres) est une affaire minimale de 100 000 $ à l’acquisition. Si la plus-value de votre boisé comme investissement et l’aménagement forestier vous interpellent, la récolte par travaux mécanisés – si les volumes sont au rendez-vous – devrait être une option.
Des espaces pour la multi
Rassurons-nous, présentement en petite forêt privée estrienne, la récolte annuelle de bois commerciaux dépasse à peine les 50 % de la possibilité officiellement établie à 1 800 000 m3s. Pour la grande forêt privée (800 ha et plus d’un seul tenant; 123 000 ha pour cinq propriétaires), une forêt sous aménagement, à l’exception de quelques îlots de conservation, la possibilité selon prescriptions est récoltée mécaniquement. Amplement d’espaces forestiers pour la multi !
Pas trop convaincu ! Allez visiter FORESTERIE 4.0 ; FP Innovation y fait mention d’une multi avec opérateur à distance branché à sa machine via la connectivité.
Donc la mécanisation des travaux forestiers (aménagement, récoltes, voirie) est d’abord une affaire de fins calculs d’opérations et d’investissements qui visent à pérenniser un avantage économique, social, environnemental et culturel au fort potentiel identitaire. Qu’il soit manuel ou mécanisé, le bûcheron estrien est plus que jamais conscient de la préservation de « sa » ressource.
Jean-Paul Gendron