Un ravage de cerfs qui cause des ravages

L’hiver, une partie de la faune s’invite chez Mario Bourgoin contre son gré. Depuis 2010, le producteur laitier est aux prises avec des hordes de cerfs de Virginie qui viennent brouter son foin durant la saison froide. Cette forme de déprédation lui coute quelques milliers de dollars annuellement.
Plutôt solitaires en été, les chevreuils se regroupent en troupeaux de plusieurs dizaines l’hiver venu, dans des espaces d’une forêt qu’on appelle ravages. À partir de ces points, les groupes forment des réseaux de sentiers menant à des points de nourriture. La ferme de Mario Bourgoin et ses balles de foin entreposées à l’extérieur constituent l’une de ces destinations prisées pour les cervidés, quelque part sur le chemin Flanders entre Cookshire-Eaton et Newport.

À la suggestion de représentants du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, M. Bourgoin s’est construit un parc clôturé d’une hauteur de 2,5 m (8 pi) pour protéger une partie de ses balles rondes de foin. « J’ai d’affaire à attacher la porte de la clôture en fin de la journée, puis pas juste l’accrocher. L’attacher ! Ils sont fouineux en tabarnic. Il y en a qui se sont déjà glissés en dessous et qui ont décroché la broche. Ils savent que c’est là. »

Plusieurs désagréments
Outre l’argent et le temps perdu à nettoyer les balles de foin éventrées, la présence de cerfs amène d’autres inquiétudes à Mario Bourgoin. « L’année passée, c’est huit carcasses que j’ai ramassées dans la prairie. » Suite à la découverte d’un cas de maladie débilitante chronique des cervidés dans les Laurentides en octobre dernier, l’agriculteur craint d’incorporer par mégarde des restes ou des excréments infectés lors d’un fauchage. D’autant plus que la maladie s’apparente à l’encéphalopathie spongiforme bovine (maladie de la vache folle).

Le passage quotidien de plusieurs dizaines de bêtes laisse aussi des sentiers bien visibles dans les champs. M. Bourgoin affirme que, une fois le beau temps de retour, ces sillons demeurent des endroits où rien ne pousse après avoir été piétinés tout l’hiver. Le producteur laitier possède aussi 150 acres de forêt où il fait de l’aménagement et de la récolte de sirop d’érable. Malheureusement, toutes les jeunes pousses d’arbres se font dévorer avant d’atteindre la maturité à l’heure actuelle, ce qui ne permet pas la régénération de la végétation.

Optimal aux yeux du ministère
Au fil des ans, Mario Bourgoin a contacté à plusieurs reprises le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs pour signaler ce qui est à ses yeux une surpopulation de cerfs de Virginie dans son secteur. Chaque fois, ses interlocuteurs lui disaient qu’il n’y avait rien à faire ou que les choses seraient prises en main prochainement. « Il faudrait qu’ils commencent à nous écouter puis voir qu’on a vraiment un problème », se désole le producteur laitier qui ne sait plus sur quel pied danser.

Du côté du ministère, on considère la densité de cervidés comme optimale avec 4 cerfs/km2 à l’heure actuelle. Dans son dernier Plan de gestion du cerf de Virginie au Québec, on stipule que « la capacité de support biologique est respectée dans cette zone. Les cerfs sont en bonne santé alors que l’habitat forestier estival ne semble pas être dégradé. L’habitat hivernal (ravages) est, par contre, très utilisé et la biodiversité végétale est altérée par le surbroutage. Les cultures et les forêts sont gravement endommagées. »

« Les appels, les plaintes et les constatations des citoyens démontrent que les propriétés privées subissent aussi de graves dommages. Bien sûr, certaines autres productions pourraient justifier l’emploi de clôtures. Mais nous ne pouvons pas clôturer toutes les forêts, productions agricoles de grandes surfaces et propriétés privées. C’est d’abord une question d’efficacité, ensuite de non-rentabilité et, finalement, d’esthétisme pour les propriétaires et les producteurs. Mais, finalement, le cerf lui-même ne saurait survivre dans un habitat totalement clôturé, donc divisé. Le cerf disparaîtrait d’un tel habitat subdivisé, et ce, au grand dam des chasseurs. »

En attendant, Mario Bourgoin souhaite au moins éduquer la population à cesser de nourrir les cervidés, comme ceux-ci s’acclimatent à la présence humaine et s’aventurent toujours de plus en plus loin sur les propriétés.

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Jean-Marc Brais
Jean-Marc oeuvre dans les médias communautaires depuis 2013. Il a été journaliste pour le Haut-Saint-François de 2017 à 2019. Il est de retour au Journal depuis 2024.
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