Le martelage d’érable pour l’industrie forestière. Jonathan Blais, président PPAQ-Estrie, reproche au gouvernement d’enlever aux acériculteurs des arbres au fort potentiel. Photo La Terre de chez nous.
Dans les Cantons-de-l’Est, ou Estrie, le débat est ardent entre Domtar, les scieries et les acériculteurs, principalement. Les parties concernées veulent tirer le plus d’avantages possible des érables, entre autres, qui poussent sur les terres publiques. Ces arbres pourraient être utilisés pour la pâte à papier et le bois d’œuvre d’une part et l’acériculture d’autre part. Comme le mentionnait également François Jacques, député de la CAQ pour la circonscription de Mégantic, ces terres servent aussi pour la chasse, la randonnée et d’autres activités récréotouristiques, dont des parcs et réserves écologiques. « Elles doivent être pour tout le monde », rappelait-il en le soulignant à quelques reprises lors d’une entrevue téléphonique.
Problématique
Deux des principaux utilisateurs de la forêt publique s’opposent. L’un voudrait plus de bois pour les papetières et les scieries, et l’autre pense que trop de gros érables sont coupés, ce qui empêcherait des acériculteurs d’agrandir leur érablière. Sept millions de nouvelles entailles viennent d’être mises à leur disposition au Québec pour fin d’agrandissement ou de création de nouvelles dans tout le Québec. Une centaine de mille poussent en Estrie.
Dans un cas, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a garanti des volumes d’approvisionnement aux compagnies et aux syndicats forestiers. Ceux-ci tiennent à ce que ces ententes soient respectées. Dans le cas des érables, puisqu’ils sont au cœur du conflit, ce sont les arbres de grands diamètres qui sont recherchés. Pour les uns, il y trouve plus de planches par billots, entre autres, tandis que pour les autres, ce sont ces mêmes feuillus qui font la sève. Les troncs inférieurs à 40 cm produisent peu et le prélèvement d’eau d’érable nuit à leur croissance.
Jonathan Blais, président de PPAQ-Estrie
Reprochant toujours au MFFP de favoriser l’industrie forestière, Jonathan Blais, président des Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ) secteur Estrie, avance « qu’on devrait faire une foresterie fine ». Cette position contraste avec ses propos plus acerbes livrés à l’occasion de différentes entrevues dans différents médias. Lors de notre rencontre, il ne reniait pas du tout ses interventions précédentes. La démonstration du bien-fondé des doléances formulées conservait leur sévérité. Il attend cependant et avec impatience la nouvelle politique de l’utilisation des terres publiques qu’a promise depuis quelques années le ministre Dufour et qui devrait être déposée dans les prochains mois. Pour l’instant, 16 à 18 % des érables « entaillables » y sont situés. Il reste des demandes qui ne trouvent pas de réponse et d’autres ont été refusées, ce qui n’aide pas aux négociations constructives. Pour se faire une idée de la gestion des érables en terre publique, on peut consulter la vidéo suivante intitulée Bonne coupe, bad coupe (https://ppaq.ca/fr/grands-dossiers/coupes-en-terres-publiques/), publiée sur le site de la PPAQ. Jacques J. Tremblay, ingénieur forestier et conseiller pour la PPAQ, compare deux types de martelage, c’est-à-dire d’identification des arbres à abattre.
Nicolas Fournier, dg AFCA
De son côté, Nicolas Fournier, dg d’Aménagement forestier coopératif des Appalaches (AFCA), définissait son rôle qui est celui de gérer la production ligneuse, agricole et acéricole du territoire couvert par l’organisme. L’AFCA entaille des milliers d’érables sur certaines de ces parcelles. Il expliquait que les stratégies d’exploitation sont différentes selon que les potentiels diffèrent. « Il y a des choses qu’on peut faire et il y a des peuplements qui ne se prêtent pas à l’acériculture. » Le martelage est fait par des professionnels. Adressant un reproche à la PPAQ, il constatait que « présentement ils ne font pas la juste part des choses ».
Simon Blais, producteur acéricole
Pour preuve que les besoins acéricoles et forestiers peuvent cohabiter sur les terres publiques, Simon Blais, producteur, conte son expérience. Souhaitant ajouter des entailles à son érablière, M. Blais voulait profiter de celles qui étaient voisines de son entreprise. Sa surprise fut grande de constater que du martelage y avait été fait qui l’empêchait de les utiliser. Après plusieurs démarches effectuées auprès des autorités et quelques tractations, il a pu s’entendre avec les responsables pour un partage de la ressource pour cette année. Lui aussi, comme bien d’autres, a hâte de lire la politique du ministre Dufour. « Il est possible de revoir les prescriptions des aménagements forestiers et agricoles sur les terres publiques », mentionne le président de la Table de gestion intégrée des ressources et du territoire (TGIRT) Estrie, Jean-Paul Gendron.
François Jacques, député de la circonscription de Mégantic
« Ça fait trois ans qu’on en jase [de cette cohabitation possible] », indique le député François Jacques, hautement intéressé à ce que ce potentiel forestier soit utilisé au mieux. Porteur du dossier, il l’a poussé auprès du ministre pour que tous y trouvent leur compte. « La forêt, c’est pour tout le monde », mentionne-t-il. Les marcheurs, acériculteurs, chasseurs, scieries et les papetières, « ça doit être pour tous ». Lui aussi a hâte de voir la nouvelle mouture du ministre Dufour. « Il y a des façons de récolter qui peuvent satisfaire les deux parties, on va laisser faire les spécialistes », concluait-il.
Cadre de la discussion entre les parties intéressées
« La forêt publique a différentes finalités », rappelle Jean-Paul Gendron. Sur les terres publiques, dont 80 % se situent dans le Granit, 17 % dans le Haut-Saint-François et 3 % dans des Sources, on dénombre 1,2 million d’entailles. Ce potentiel acéricole se trouve sur une superficie de 250 ha environ.
L’industrie forestière prélève, pour sa part, l’équivalent de 1 200 semi-remorques toutes essences confondues sur les quelque 40 000 ha disponibles en Estrie. La principale caractéristique de ces terres publiques est d’être morcelée en parcelles qui peuvent toucher des propriétés privées, dont certaines, où se pratique l’acériculture.
Au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, dont le ministre est Pierre Dufour, les spécialistes définissent des plans d’aménagement et de récolte en vue d’assurer la pérennité de la forêt. « Il peut arriver des conflits tout à fait gérables », avance M. Gendron. Dans le cadre où l’attribution de quelque 7 millions d’entailles pour le Québec vient de se conclure, plusieurs acériculteurs souhaitent s’agrandir et d’autres, démarrer de nouvelles érablières (voir article sur Coopérative acéricole des Appalaches) sur ces domaines publics pour bénéficier de meilleurs quotas. Pendant ce temps, la demande en bois pour la pâte à papier, le déroulage et l’industrie du sciage augmentent aussi.