Vivre un Sale Temps dans une sale époque

Jean-François Nadeau

Jean-François Nadeau, auteur de Sale Temps, publié chez Lux Éditeur.

Le journaliste, historien et chroniqueur originaire de Cookshire-Eaton, Jean-François Nadeau, vient de publier un nouveau livre : Sale Temps. Il s’agit d’un recueil d’essais critiques. Cet ouvrage porte un regard réaliste et critique sur notre époque, en s’appuyant sur divers exemples, à commencer par notre rapport au temps. Il évoque dans ce livre l’importance qu’a eue sur lui, au temps de son enfance, la sirène de la caserne des pompiers de Cookshire lorsqu’elle se faisait entendre sur le coup de midi.


« On est des esclaves du temps », dit-il en entrevue. « On a l’impression d’être dans une société plus douce que jamais, avec le confort dont nous bénéficions, mais c’est en partie une illusion. La planète se meurt. Et jamais, dans l’histoire de l’humanité, on n’a vécu autant de disparité économique entre riches et pauvres. En 2020-2021, la fortune des dix hommes les plus riches du monde, c’est-à-dire pendant la première année de pandémie, a augmenté de 900 000 $ à la minute! Il y a 30 individus, qui possèdent aujourd’hui, autant d’argent que la moitié de la population la plus pauvre. C’est du jamais vu dans l’histoire humaine. »
Au-delà des inégalités monétaires, l’auteur décrit aussi notre fascination, comme peuple, pour le rêve américain et l’espoir d’en avoir toujours plus, en s’imaginant que nous sommes tous des millionnaires en puissance ou, quand ça va mal, que nous sommes « temporairement dans l’embarras ». Jean-François Nadeau parle de la façon dont nous avons de glorifier et d’encenser les personnes milliardaires de notre monde, sans se donner la peine de voir comment ils le (argent) pillent par ailleurs.
« Au Québec, au Canada et dans la société occidentale en général, on essaie de nous faire croire qu’il existe une classe moyenne très large, que nous appartenons tous plus ou moins à cette classe. Pourtant, 20 % des gens qui fréquentent désormais les banques alimentaires sont des gens qui travaillent à temps plein! On dit d’eux qu’ils appartiennent à la classe moyenne, mais ils ne sont même plus capables de subvenir à leurs besoins de base, tout en travaillant comme des fous. Ça a quelque chose de tragique. Comment changer ça ? Il faudrait s’occuper des échappatoires fiscales qui permettent de ne pas payer d’impôt, pour commencer. Ensuite, il faudrait certainement apprendre à rêver mieux. Nos plus grands rêves, on dirait parfois que c’est de bénéficier des derniers spéciaux chez Costco… »
Il y a quelque chose d’un peu tordu, selon Jean-François Nadeau, dans le fait de s’épuiser au travail pour tenter de conserver, parfois au mépris de sa santé, un certain niveau de vie alors que les plus nantis regardent tout simplement leur argent travailler à leur place. « On parle souvent d’Elon Musk comme un modèle d’homme d’affaires. On s’imagine qu’il va sauver la planète avec ses autos électriques. Si vous gagnez environ 65 000 $ par année, il vous faut travailler 3,1 millions d’années pour toucher son salaire annuel. Sans vacances… Est-ce que des barons et des princes pareils, qui décident de la direction du monde, aident vraiment le plus grand nombre ? »
Pessimiste dans son analyse, Jean-François Nadeau se dit néanmoins optimiste quant à ses convictions. Il pense que le fait de se rendre compte de notre triste situation collective ne rend pas les changements impossibles. Au contraire. C’est à force de discussions et d’échanges d’idées qu’on parviendra à s’améliorer collectivement. C’est un peu pour cette raison qu’il a lancé sur Facebook, avec Jasmin Roy Rouleau, une page communautaire, L’Écho de Cookshire-Eaton et de ses environs, qui rassemble désormais plus de 2400 citoyens intéressés comme lui à son coin de pays.
« Au fond, la société, c’est un gros escargot! Ça n’avance pas vite un escargot, mais ça avance tout le temps. Lentement, mais sûrement. Dans la durée, ça peut en faire du chemin… Faut être patient. Je pense qu’on est capable de s’organiser et que, localement, on peut changer les choses. C’est une des raisons pourquoi j’ai eu l’idée de lancer la page communautaire L’Écho de Cookshire-Eaton et de ses environs, qui permet aux gens d’échanger, de se parler. Je pense qu’on peut avoir de bonnes idées ensemble. Il faut prendre les idées d’où elles viennent, de n’importe où, de n’importe quelle époque. Il faut les considérer pour leur valeur. (…) Il faut lire, se donner le moyen de s’informer, d’écouter ce qui se passe de mieux dans le monde, de prendre des décisions intelligentes pour améliorer notre condition, tous ensemble. »
Pour l’historien, la vraie richesse ne passe pas par l’or ou les billets verts, bien au contraire. La vraie richesse d’une société est la proximité des gens, les échanges et la capacité que nous avons de nous organiser, collectivement, en étant ouvert sur le monde et en préservant ce qui, jusqu’ici, nous a constitué en communauté. Sale Temps, le nouveau livre de Jean-François Nadeau, est publié chez Lux Éditeur.

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