Paul Grégoire pose devant cette toile qui décrit des cauchemars qui sourdent encore, mais qui commencent à «avoir la fale basse».
Rencontrer Paul Grégoire, c’est regarder le dedans des choses, l’armature des corps, l’intériorité des cauchemars, les nœuds gordiens qui étouffent des dualités conflictuelles… « Je suis une personne tourmentée. Ce n’est pas un état qui me suit continuellement, heureusement, mais c’est ce qui ressort dans mon travail », confie l’artiste multidisciplinaire. Et c’est beau ! Et c’est grand !
Gilles Denis a dû créer une troisième salle, à la Galerie d’art Cookshire-Eaton. Paul l’a baptisée, la Galerie d’art du hangar. Ses cauchemars d’enfant s’y logent. Si le nouveau-né se sent accueilli, une maison deviendra sienne. « Mais si l’un des habitants, dominateur et en position de pouvoir, décide que cette maison est la sienne et qu’elle n’appartient à personne d’autre, alors l’enfant aura l’impression de n’habiter nulle part. » Cette maison barbue au toit rouge et aux murs blancs qu’il a peinte l’affronte. Il était certain à cette époque que c’était sa dernière toile, « la fin d’une route, les roches pour enterrer un mort dans le désert et l’os. Un monument à la mort », qu’il écrit. Par chance, d’autres projets l’ont accaparé.
Le sculpteur n’a pu déménager le voilier de 30 pieds, sa Chrysalide, sa broderie mortuaire. Un ami lui a donné son voilier qui achevait de se dégrader en cale sèche. Il l’a dépouillé de son enveloppe pour n’en garder que le squelette auquel il a greffé un crâne de baleine en proue. De toutes les étapes menant à l’œuvre finale, il en a tiré des photos exposées à la petite galerie Suzanne-Genest, rue Principale Ouest à Cookshire-Eaton.
Ses os peints sur des toiles gigantesques s’intègrent dans les nervures des feuilles, les membranes des papillons et autres objets laissés à l’interprétation des visiteurs. Les Angoisses gloutonnes du goéland comme son Impasse boulimique étouffés des nœuds gordiens de pieuvres, de serpents, d’anguilles traduisent les affres de la personne tourmentée. Ce sont ses plus récentes créations, celles qu’ils aiment particulièrement.
Multidisciplinaire, un projet de bande dessinée, Grégoire à l’os l’a suivi depuis 2012. Abandonné, ressuscité, délaissé, il a enfin publié en 2020. « Comme j’ai l’habitude de finir ce que je commence, le projet me hantait ». Paul a toujours dessiné. « C’est une passion, et je suis mordu de bandes dessinées. » Il poursuit : « Quant à l’histoire, elle est autobiographique et a pour centre une autre de mes passions, celle des os », source pour lui de réflexion et d’inspiration. « N’en déplaise aux promeneurs et éleveurs, quand je vois leur toutou ou leur bétail, mon œil à rayon X leur fixe le squelette », avertit-il.
Cette exposition m’a ravi, point à la ligne. La générosité de Paul, son talent de narrateur et la qualité de son œuvre ont gravé dans mes « os » des sillons indélébiles. Je vous suggère de vous procurer Nœuds gordiens et La Chrysalide, broderie mortuaire, deux créations magistrales. Pour extraire la substantifique moelle de Paul, Grégoire à l’os, il faut lire sa bande dessinée aux couleurs des sables des Îles.
En salle depuis le 27 mai, l’exposition des œuvres de Paul Grégoire se terminera le 2 juillet. Les portes sont ouvertes de 12 h à 16 h.