Gilles Denis
Le printemps dernier, je magasinais pour des graines de thym serpolet. J’ai fait trois serres locales, sans grand succès. J’étais surtout frappé par le fait qu’un commis dans une des serres m’a suggéré de magasiner en ligne au lieu d’acheter les graines offertes par son employeur.
Quelques semaines plus tard, j’apprends qu’on peut acheter des scies à chaînes en ligne, pas chères évidemment… même pas besoin de quitter la ferme.
« On voit les camions [de livraison] courailler les rues à journée longue maintenant. C’est impressionnant », a admis le propriétaire Gilles Denis, 77 ans, de l’épicerie IGA Cookshire.
Qu’est-ce qui arrivera alors de nos serres, nos magasins de fournitures agricoles, nos épiceries si notre argent va aux propriétaires d’immenses corporations à l’Ouest américain ? On peut penser aux anciennes quincailleries de villages, les magasins généraux, la plupart fermés maintenant depuis des décennies lors de la dernière vague de centralisation à la grande quête du meilleur prix.
À Island Brook récemment, une voisine m’a dit que c’était dommage qu’on n’ait plus de dépanneur, qu’on doit conduire jusqu’à Cookshire pour une pinte de lait.
Samuel Carrier
Samuel Carrier, 23 ans, le nouveau propriétaire de Carrier Sports à Cookshire, commerce qui vend justement des scies à chaînes maintenant depuis trois générations, sait bien qu’il ne peut pas faire concurrence en ligne au niveau des prix. « C’est très, très féroce. On n’a pas le choix. Il faut se tenir agressifs, les meilleurs prix que possible », a-t-il dit en entrevue la semaine dernière.
Mais, comme ses confrères et consœurs dans la ville de Cookshire et ailleurs, la stratégie de survie et de succès se trouve plutôt dans le service et la qualité de produits offerts.
« C’est vraiment le service », ajoute M. Carrier. « On est en train de subdiviser nos divisions, changer les staffs de place, tout vraiment corriger, essayer d’améliorer le tout, aider à avoir une meilleure expérience client ».
« C’est important pour le propriétaire de conseiller ses clients, d’être présent ».
Elle mise sur deux autres avantages d’achat local : l’offre de produits canadiens plutôt qu’américains ou autres, ainsi que des escomptes de fidélité sur l’achat de plusieurs marques de nourriture animale.
C’est semblable au IGA Cookshire. Gilles Denis mise sur la qualité, la transformation de ses produits et l’offre de produits locaux. Il a remarqué en conséquence une augmentation dans la fidélité de sa clientèle.
« Il faut que tu puisses offrir un produit de qualité », précise-t-il. « Une canne de soupe est pareille ici ou au Walmart. Mais une tomate fraîche, c’est différent. Ce qu’il faut, c’est la fraîcheur. On ne peut pas compétitionner avec Walmart ou Maxi. Ils ont beaucoup moins d’employés », et alors moins de frais généraux.
Melany Bouffard
Le magasin a agrandi justement « pour donner un meilleur service à l’intérieur, pour les gens qui se déplacent pour venir ici ».
À l’autre bord de la rue Principale, Melany Bouffard a adopté la même approche à son animalerie Mély-Canin.
« J’essaie d’être au courant le plus possible de mes produits pour être capable de conseiller le client », cite-t-elle, aussi en entrevue. « Les petits commerces comme le mien vont peut-être réussir justement grâce à ça ».
Mme Bouffard a aussi apporté des changements à son entreprise : elle fait moins de toilettage depuis quelques années en faveur d’un meilleur service pour ses clients qui viennent en magasin pour leurs achats.
À son magasin, ce sont les employés, 86 en tout, qui rendent possible l’offre de qualité et de service, selon M. Denis. Et, si on paie plus cher que chez un magasin d’escompte de grande surface à l’autre bord de Sherbrooke, entouré d’immenses stationnements, ça aide à payer le salaire des employés des magasins comme IGA, des employés qui sont souvent nos voisins.
« C’est sûr que ce n’est pas évident », dit M. Carrier concernant la nouvelle économie non locale.
« Il y a aussi le devoir des citoyens de supporter les entreprises locales », ajoute M. Denis.
En contrepartie, les entreprises locales vous offrent les avantages qui ne se trouvent pas en ligne ou en magasin d’escompte. Il faut juste qu’on s’assure de cultiver cette relation d’échange avant de la perdre.
Scott Stevenson