Sur l’île d’Anticosti : « C’était du temps où j’étais cougar, pas éléphant ! »
Au fur et à mesure que les dômes d’air frais poussent l’humidité au sud, le chant des cigales fait place au concert des insatisfaits qui trouvent les étés québécois trop courts. À écouter ces malheureux, l’automne devrait se résumer aux trois semaines de couleurs, en septembre, question de se soustraire aux jours pluvieux d’octobre et à la grisaille de novembre.
Dans le cercle des chasseurs, on se réjouit plutôt des automnes qui s’allongent. Le ministère de la Faune propose un nombre croissant des périodes de chasse selon l’espèce et le type d’arme. En considérant aussi la préparation des sites, les exercices de tir ainsi que le temps en post-saison consacré à la gestion de la venaison, «l’automne des chasseurs» dure maintenant pratiquement six mois, et personne ne s’en plaint !
Cette passion m’habite depuis une quarantaine d’années et elle ne baisse pas d’intensité. Côté efficacité, par contre, la réalité est toute autre.
C’est avec un brin de nostalgie que je ressasse certains jours les souvenirs des meilleures années, que je repense à la boutade d’un guide à l’île d’Anticosti qui m’avait surnommé le « cougar de l’Estrie ». Pour être franc avec vous, aujourd’hui, le cougar ressemble à un éléphant !
Le Parkinson, maladie accélérant plusieurs facettes du vieillissement et dont j’ai eu le diagnostic il y a 10 ans, complique mes déplacements. Mes muscles rigides me donnent un pas lourd et saccadé.
Le Parkinson altérant la capacité du cerveau à effectuer deux tâches en même temps, dès que je me concentre pour déposer le pied doucement au sol j’omets de regarder en avant. Convenons que les chances de surprendre un gros gibier avec le nez dans les bottines sont assez limitées. Malgré ces contraintes, une journée de chasse est pour moi une journée en classe dans une école de vie sans pareil.
Jamais je n’oublierai ces sages paroles de mon père, qui fut mon premier professeur de bois :
«Y’a que les humains qui sont assez stupides pour oublier qu’ils devront s’adapter toute leur vie.
Les animaux sauvages se rappellent d’instinct qu’ils ne vivront pas vieux s’ils sont imprudents ou trop confortables dans la routine».
Criant de vérité, non ? C’est à l’école de la forêt que j’ai appris à manipuler les armes sans que cela fasse de moi un fou furieux ou un criminel. Il n’y a pas de règlements de compte, de meurtre gratuit ou en série dans la forêt. Les bêtes sauvages tuent seulement pour manger. La chasse n’est évidemment pas une question de survie pour nous, prédateurs sur deux pattes, mais elle est un prélèvement indispensable des plans de gestion des espèces.
La forêt s’avère donc un milieu d’enseignement sans filtre et sans faux-fuyants. C’est l’école du réel, qui laisse l’émotionnel dans la marge.
Des bêtes diminuées par des blessures, la maladie ou le vieillissement, il y en a évidemment en nature. Si un éclopé de la forêt, mon défi d’adaptation serait bien plus exigeant et stressant. J’aurais à sauver ma peau en portant le chandail dépareillé dévoilant que je suis le plus facile à attraper et à dévorer.
Si j’étais un éclopé de la forêt, en plus d’avoir à m’adapter, j’aurais à sauver ma peau même en portant le chandail dépareillé dévoilant que je suis le plus facile à attraper et à dévorer.
Il m’est arrivé quelques fois de voir des chevreuils, amputés d’un membre, prendre la fuite à toute vitesse sur trois pattes en survolant les arbres renversés ou en zigzaguant à travers le bois dense comme si de rien n’était. Je suppose qu’il s’agissait de survivants du tir imprécis d’un chasseur ou d’une collision routière. Combien de temps avaient-ils passé immobilisés dans l’eau froide pour engourdir le mal, à manger au minimum en raison de leurs difficultés à se déplacer.
Aucun professionnel de la santé pour les soigner, ni ergothérapeute pour les guider et les encourager au cours de l’exigeante phase de réadaptation. Ce qu’ils doivent en baver, ces animaux gravement blessés, pour se réhabiliter : essaye, chute, puis recommence; essaye, chute, puis recommence; essaye, chute, puis recommence. Jusqu’au moment de trouver la parfaite répartition du poids sur les pattes et la bonne charge de muscles pour la propulser. Exploit aussi renversant et émouvant que les performances de nos athlètes paralympiques rentrant de Paris !
«Dommage qu’on ne puisse pas installer des caméras pour capter ces moments de courage extrême», a déploré un de mes amis chasseurs. Oui, c’est vrai. Mais les éclopés de la forêt ne sont pas attirés par les téléréalités, lui ai-je répondu en lui citant une fois de plus les enseignements de mon père.
« Ti-gars, perds pas ton temps à chercher la cachette d’un animal blessé. Il se pousse, il s’isole, il se terre à un endroit qu’on n’aurait jamais imaginé afin que ni moi ni toi ne puissions le trouver, et encore moins le prédateur affamé pressé de le bouffer ! »
J’ai bonne mémoire, non ?
Y’a pas que des désavantages à être un éléphant…