Le virage de Pauline Beaudry

Seule, sans emploi et avec neuf enfants à la maison, en 1999, Pauline Beaudry apporte une cinquantaine de CV aux employeurs potentiels à Sherbrooke. Le dernier est à la Maison Saint-Georges, un centre de réadaptation en dépendances et santé mentale. Pauline n’a aucune formation dans le domaine, et elle n’aime pas ce qu’elle voit en rentrant. Elle décide en sortant de ne pas travailler là. 

Aucun employeur l’appelle, sauf… la Maison Saint-Georges, pour une entrevue. Elle n’a pas le choix, elle accepte de faire l’entrevue, toujours décidée, par contre, à ne pas travailler là. 

« Je pense que, de toute ma vie, c’est l’entrevue que je me suis sentie la plus minable. Dans ma tête, je ne veux pas être là. Je suis en face de lui, puis il me demande : “Connaissez-vous la santé mentale?” “Pas ben, ben.” Tout ce qu’il me posait comme question : “Pas vraiment. Pas ben, ben. Pis, pas vraiment…” Tu sais, la fille qui veut pas la job… » 

Écoutez un extrait de l’entrevue accordée par Pauline Beaudry

« Deux semaines après, il me rappelle. T’es pas sérieux! Mais, je n’ai toujours pas d’emploi. Il dit : “Mme Beaudry, on dirait que vous ne voulez pas la job”. » 

« J’ai dit : “Vous êtes tellement gentil et respectueux, je ne peux pas mentir. La santé mentale, je ne connais pas ça, puis je ne me sens pas à l’aise là-dedans. Mais j’ai besoin d’une job, vous comprenez le dilemme.” Le directeur rit et dit : “Mais j’aime tellement votre personnalité. Vous êtes vraiment attachante.” » 

Pendant l’entrevue, à l’extérieur du bureau, « il y a eu une crise entretemps; deux usagers. Écoute, ça gueulait l’autre bord ». Le directeur, Réjean Coates, dit: « Allez-y, Mme Beaudry, c’est un test. Allez-y! » pour régler le conflit. 

Évidemment, Pauline a réussi, a eu la job; et le reste, c’est de l’histoire… Une histoire avec un grand impact dans le Haut-Saint-François. 

« Réjean Coates voyait des choses en moi que je ne voyais pas. Ça fait que pour moi, la santé mentale, je ne me verrais pas ailleurs. 

« J’avais des tabous. J’ai réalisé que comme personne, moi-même, j’en avais des tabous par rapport à la santé mentale. Puis en plus, j’avais peur de ces gens-là. Puis, à travailler là, j’ai réalisé, mon Dieu, à quel point que, ce n’est pas croyable, sincèrement, je n’ai jamais vu des personnes avec autant de reconnaissance pour qu’est-ce qu’on fait pour eux. » 

« J’ai appris à connaître la santé mentale, premièrement, puis j’ai fait la part des choses entre l’être, la personne et la maladie de la personne. Et c’est là que j’ai réalisé que la personne n’est pas schizophrène, n’est pas bipolaire. Elle est, Pauline Beaudry, et j’ai la maladie…, mais je ne suis pas [la maladie]. » 

Une carrière dévouée 

Pauline a travaillé de 1999 à 2003 à la Maison Saint-Georges et a pris un deuxième emploi, comme intervenante, à Virage Santé mentale en 2001. Après deux ans avec deux emplois et neuf enfants à la maison, elle a été avertie par son médecin qu’elle devait arrêter de brûler la chandelle « aux trois bouts ». 

En 2006, elle a remplacé le directeur de Virage à l’époque, Raymond Beaunoyer, et elle célébrera ses 24 ans à Virage Santé mentale cette année, lors du 40e anniversaire de l’organisme. 

Pauline se dit fière de l’expertise qu’elle et Virage ont développé au fils des ans, dans le domaine du deuil en particulier, mais aussi en estime de soi, réinsertion sociale et entendeurs de voix. Virage était le premier organisme local dans le Haut-Saint-François à offrir des services régionaux, de dire Pauline. 

Elle est aussi contente de l’effet de leur travail sur la conscience publique. « Quand je suis arrivée ici, la santé mentale, c’était très, très, très tabou. Ça s’est amélioré », dit-elle. 

Toujours des tabous 

« Mais c’est quand même encore un tabou. Pas autant qu’avant, mais la santé mentale, on dirait que ça fait peur… surtout les problèmes plus sévères. Là, il y a beaucoup de préjugés. » 

Avec ses bureaux à Weedon et à East Angus, Virage Santé mentale a aussi beaucoup évolué. Pauline dit qu’en 2001, leur budget était d’environ 90 000$, venant seulement du Programme de soutien aux organismes communautaires du Gouvernement du Québec, mais aujourd’hui, il est aux alentours du triple de ce montant.  

En 2023-2024, Virage a servi 295 personnes différentes, avec 4995 présences à des activités et services, comparé à 50 ou 60 personnes en 2001. 

« On donne plus de services », dit-elle. La seule chose qui manque et qu’elle aimerait voir naître est un centre d’hébergement dans le Haut-Saint-François pour femmes en santé mentale. « Je l’ai toujours un peu en tête », dit-elle.  

Et sa retraite? 

Vous avez peut-être entendu Pauline parler de retraite. Elle dit que des fois, l’idée est pour plus tôt que tard, mais là, c’est pour « plus tard ». 

Ce que Réjean Coates a vu en 1999, Pauline Beaudry a commencé à comprendre d’elle-même rapidement dans son travail en santé mentale.  

« Quand j’ai quitté la Maison Saint-Georges, ce sont les gens que je côtoyais au quotidien qui me manquaient le plus. Dès la première année que j’ai travaillé à la Maison Saint-Georges, même pas un an après que j’ai commencé, je me disais en moi : “T’es donc ben nouille! Comment ça t’as eu peur de venir travailler icitte?” J’étais comme une autre personne dans mes pensées. » 

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Scott Stevenson
Originaire du Canton de Hatley, Scott Stevenson est directeur du Journal Le Haut-Saint-François et demeure sur sa ferme à Island Brook depuis 2012.
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