Deux femmes qui brassent affaires et bières

L’ouverture de la Brasserie rurale 11 comtés et du restaurant Le Cuisinier déchainé sur un même site a créé une petite révolution à Cookshire-Eaton et dans la région, l’été dernier. Derrière les deux établissements se trouvent deux femmes en or qui n’ont pas peur de porter plusieurs chapeaux simultanément.

Copines d’école

Emilie Fontaine et Julie Myre-Bisaillon se sont rencontrées à l’Université de Sherbrooke lorsque la première est venue cogner à la porte de la seconde afin de dénicher une directrice d’essai pour sa maitrise en éducation. « Ça a cliqué. J’ai embarqué dans ses projets de recherche », se remémore Mme Fontaine. Suite à la maitrise, la professeure Myre-Bisaillon encourage l’étudiante à poursuivre au doctorat.

Les deux femmes se lient entretemps d’amitié, autant pendant des congrès outre-mer dans le domaine de l’éducation que lors de festivals de bière. C’est qu’Emilie Fontaine a commencé à s’impliquer dans un nouvel estaminet qui vient de voir le jour à Sherbrooke : le Boquébière. Julie Myre-Bisaillon ne lui en tient pas rigueur : « Ça forme des liens qu’on n’oubliera jamais, les festivals de bière. »

Mme Fontaine ne fait pas officiellement partie de l’équipe du Boq (pour les intimes). C’est plutôt son conjoint Sébastien Authier, l’un des fondateurs, qui l’amène à s’intéresser au domaine. « J’étais la femme derrière l’homme. Un moment donné, je me suis rendu compte que j’avais des conseils puis des prises de décision qu’eux n’avaient pas. L’idée d’avoir ma propre microbrasserie est embarquée là-dedans. »

Originaire de Weedon et ayant grandi sur la ferme laitière familiale, Emilie Fontaine avait le Haut-Saint-François tatoué sur le cœur. Revenir y établir une entreprise était pour elle une priorité. Dès 2013, elle se met à travailler sur le plan d’affaires de la future brasserie rurale. Avec ses quatre jeunes enfants, Mme Fontaine abandonne le doctorat, mais poursuit ses charges de cours à la faculté.

Un foodtruck immobile

« Quand ils ont dit “On installe la micro à Cookshire”, on disait “Ça prend une place pour manger” », se remémore Julie Myre-Bisaillon. Celle-ci a rencontré son conjoint, Yannick Côté, par l’intermédiaire d’une amie d’Emilie… au Boquébière. Vivant au départ à proximité de son travail de professeure titulaire à l’Université de Sherbrooke, Mme Myre-Bisaillon a fait le saut en région en allant s’établir sur la ferme du Jardinier déchainé, près de l’ancien hameau d’Eaton Corner.

« Dans nos projets, c’était vraiment plus tard, moi puis Yannick, l’idée d’un bistro ou d’une cuisine déchainée », voire à la retraite, confie Mme Myre-Bisaillon. Néanmoins, les deux couples Myre-Bisaillon-Côté et Fontaine-Authier affectionnent le même type de microbrasseries de la côte est américaine, souvent flanquées d’un foodtruck. « Ces endroits-là sont fréquentés par une clientèle très hétéroclite. Tout le monde est bienvenu », mentionne l’enseignante.

Après quelques discussions, le projet de double entreprise prend forme. « C’est parce que c’était des amis qu’on a embarqué là-dedans. On n’aurait pas pris de risques avec des gens qu’on ne connaît pas. On n’aurait pas fait ça avec personne d’autre qu’eux », précise Emilie Fontaine.

Si la microbrasserie s’annonce pour être l’aboutissement d’un travail de longue haleine parsemé d’embûches, le restaurant se fera en l’espace de quelques mois. « Ça a été tout un démarchage parce qu’il n’y a personne qui prête de l’argent pour ouvrir un resto », se remémore Julie Myre-Bisaillon. Finalement, la Financière agricole accepte de s’impliquer dans le projet à condition que le restaurant soit mobile, en cas de flop, d’où son allure de camion de rue.

Embarquer sur un train en mouvement

Le 28 juin 2018, l’ouverture de la brasserie rurale et de la table locale se concrétise. « La réponse a été bonne dès la première fin de semaine », relate Emilie Fontaine. « On a affiché complet presque tout l’été, les vendredis et samedis », s’étonne encore Julie Myre-Bisaillon. Celle-ci devait même souvent refuser des gens. « Et on n’a pas fait de publicité ! »

« Je suis pas une femme d’affaires à la base », poursuit Mme Myre-Bisaillon. « Quand on s’est lancé là-dedans, on s’attendait à ce que ce soit un petit projet. C’était supposé être un petit passe-temps tranquille, cette affaire-là ! » Le plan d’affaires de la copropriétaire et de son conjoint prévoyait de 50 à 60 repas par jour et 2 ou 3 employés à gérer. « Du jour au lendemain, on s’est retrouvé avec 12 employés ! Cet été, je suis devenue une femme d’affaires ! »

De son côté, Emilie Fontaine avoue ne pas avoir beaucoup dormi pendant la belle saison. « Mais chaque matin que je me suis levée pour venir ici, c’était du pur bonheur. Même si j’enchainais des 48 heures en quatre jours, c’était le cœur complètement léger versus d’autres emplois que j’ai pu occuper dans ma vie. »

Mme Fontaine savait dans quoi elle s’embarquait. « Mes habiletés de femme d’affaires ; tout vient de mon éducation à la ferme, d’avoir vu mes parents gérer des entreprises. » Ceux-ci ont fait figure de précurseurs dans le domaine laitier en étant parmi les premiers en Estrie à utiliser des robots de traite. « Mes parents ont toujours eu une vision, même s’ils ont fait rire d’eux à une certaine époque. Je leur dois tout. »

D’ici la seconde année d’activités du restaurant Le Cuisinier déchainé, Julie et Emilie avouent qu’elles s’ennuieront l’une de l’autre. La première se tiendra occupée avec son emploi à l’Université de Sherbrooke. Quant à la seconde, elle procédera à la mise en place de l’usine brassicole en vue de la mise en canettes et d’une distribution des produits 11 comtés à travers la province.

Elle est confiante face à l’avenir. « C’est trippant parce que c’est le début de quelque chose. On est à peine dans les premiers balbutiements de quelque chose d’extraordinaire. »

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Jean-Marc oeuvre dans les médias communautaires depuis 2013. Il a été journaliste pour le Haut-Saint-François de 2017 à 2019. Il est de retour au Journal depuis 2024.
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