Nous apercevons assis de gauche à droite, à l’avant Sylvain Rajotte, directeur général d’Aménagement forestier et agricole des Sommets, à l’arrière, André Roy, président du Syndicat des Producteurs forestiers du Sud du Québec, à ses côtés Robert Proteau, président de la Société d’aménagement de l’Estrie, et de nouveau à l’avant, Jean-Paul Gendron, président de l’Agence de mise en valeur de la forêt privée de l’Estrie.
Une délégation de représentants d’organismes œuvrant dans le secteur de la forêt estrienne ont débarqué au bureau du député de Mégantic, François Jacques, pour lui demander l’appui du gouvernement du Québec dans leur lutte contre le nerprun bourdaine. Cette plante exotique envahissante sur les écosystèmes indigènes depuis une trentaine d’années, notamment en Estrie, menace la forêt et l’ensemble des essences qui la compose particulièrement dans le Val-Saint-François et le Haut-Saint-François.
Jean-Paul Gendron, président de l’Agence de mise en valeur de la forêt privée de l’Estrie, Robert Proteau, président de la Société d’aménagement de l’Estrie, André Roy, président du Syndicat des Producteurs forestiers du Sud du Québec, et Sylvain Rajotte, directeur général d’Aménagement forestier et agricole des Sommets, ont demandé au député Jacques d’intervenir pour organiser une rencontre avec le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour.
« Nous, on veut une rencontre au cabinet du ministre pour exposer nos problèmes et lesdites solutions qu’on entrevoit actuellement. On veut plus de recherche, on veut des fonds. Les plants qu’on met en terre, on veut qu’ils poussent. Il existe des super plants qui poussent plus gros et plus vite.
Dans des endroits envahis par le nerprun, on voudrait utiliser ces plants-là. Actuellement, on n’a pas accès à ces plants-là. Des plants qui poussent 20 % plus vite actuellement. Là, il est temps qu’on réagisse. Ça prend des études scientifiques pour essayer de contrôler la propagation de l’animal. Dans un premier temps, si on pouvait contrôler la propagation, ça serait déjà un gros plus. Il pousse partout en forêt même dans une érablière. On voudrait trouver des moyens de le contrôler soit par la science ou autrement par une technologie quelconque », d’exprimer M. Roy. « Ce qu’il faut, c’est ce qu’on met en terre pousse plus rapidement et qu’il puisse prendre le dessus le nerprun, c’est tout. Si l’arbre atteint 8 mètres de haut, il n’est plus une menace », de préciser M. Rajotte.
Le nerprun est particulièrement résistant, il tolère très bien l’ombre, la lumière et n’a pas d’ennemi naturel, d’expliquer M. Rajotte. « Même si on essaie dans un espace défini de l’éliminer, s’il est venu une fois, il va venir deux fois et même trois. C’est clair et net, faut le contrôler », insiste-t-il. Ce dernier mentionne que des membres de son équipe ont remarqué le nerprun pour la première fois, il y a 30 ans, sur le terrain de l’aéroport de Sherbrooke en 1990.
M. Gendron mentionne que des scientifiques ainsi que le ministère de la Forêt et de l’Université de Montréal travaillent sur la problématique. « On connaît la dynamique de la plante, on sait comment ça pousse, la nuisance que ça fait, les contraintes que ça occasionne au niveau de la régénération forestière. Ce qu’on ne sait pas, c’est comment faire pour s’en débarrasser. » Le nerprun envahit littéralement les sous-bois et cause préjudice à la régénération naturelle de la forêt. « Ça prend de la recherche et des fonds. Le seul traitement possible, c’est le reboisement. À long terme, ça aura un effet sur la biodiversité », de préciser M. Roy. Sans vouloir se montrer alarmiste, M. Rajotte ajoute « si on ne fait rien présentement, dans 50 ans, le portrait de la forêt aura changé considérablement. »
M. Gendron souhaite que le gouvernement intervienne de la même façon qu’il le fait pour d’autres régions du Québec. « On a fait valoir à M. Jacques, si vous intervenez contre la tordeuse des bourgeons d’épinette qui est cyclique pour limiter les dégâts, à bien plus forte raison et compte tenu de la durabilité du nerprun, bien là, on mérite considération de la part du ministère pour trouver des moyens d’éradiquer ou contrôler. »
Selon M. Gendron, on compterait plus de 150 usines de première, deuxième et troisième transformation en Estrie procurant du travail à quelque 8 500 personnes pour des retombées globales de 2 G$. À cela, faut ajouter l’apport du secteur touristique représentant des retombées de 400 M annuellement. « Il s’agit d’enjeux social, économique et politique », insiste l’intervenant. « Nous, comme producteurs fournisseurs, on fournit à peu près les deux tiers de l’industrie forestière en Estrie. Le reste provient des États-Unis principalement. Si à moyen ou à long terme, on est obligé de réduire drastiquement nos approvisionnements, bien l’industrie serait dans le trouble parce que les deux tiers, personne peut les compenser. Même les États-Unis ne peuvent pas compenser ça », d’ajouter M. Roy.
Député
Au sortir de la rencontre avec le député Jacques, les intervenants semblaient satisfaits de l’écoute de ce dernier, mentionnant même qu’il avait « une sensibilité forestière. » M. Jacques mentionne avoir transmis les documents au ministère ainsi qu’au bureau du ministre Dufour. Il ajoute avoir eu une discussion préliminaire avec ce dernier concernant le nerprun. Quant à une rencontre éventuelle, M. Jacques s’est montré évasif tout en précisant « moi, c’est sûr que je vais reparler au ministre par rapport aux enjeux qu’il y a. »
Nerprun
Le nerprun bourdaine est une espèce introduite envahissante particulièrement inquiétante en Estrie et globalement dans le sud du Québec. C’est un arbuste originaire d’Asie qui domine plusieurs écosystèmes et est répandu dans le nord-est de l’Amérique du Nord. Il entrave le recrutement et la croissance des essences forestières indigènes.
L’espèce a la capacité d’occuper un large éventail de types de sols et de milieux, tel que les zones humides, non inondées, les rives, les plaines ou les sols sablonneux. Cette espèce exotique est envahissante en raison de sa production abondante de graines tôt dans son développement, de même qu’en raison de son établissement et de sa croissance rapide. De plus, sa capacité à adapter sa structure selon le milieu lui permet d’optimiser la captation de la lumière disponible en adoptant une forme arborescente en sous-étage et une forme arbustive dans les ouvertures. En fait, le nerprun bourdaine compétitionne pour la lumière avec les espèces indigènes. Il peut atteindre jusqu’à 7 mètres de hauteur. À ce jour, il semblerait que l’application de phytocides chimiques, le plus souvent de manières répétées, est la seule approche reconnue pour maîtriser cette espèce exotique envahissante. Toutefois, l’application de phytocides chimiques soulève des enjeux sociaux et écologiques, si bien qu’elle n’est plus permise dans les forêts publiques de certaines juridictions, dont au Québec.
Le nerprun n’a pas fini de faire parler de lui. Il en sera question lors d’une rencontre provinciale prévue à Belœil en avril prochain ainsi qu’en région en juin dans le cadre d’un colloque organisé par le Conseil de l’environnement de l’Estrie.